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Les Etablissements Schneider

Economie sociale

La maison de famille

Après un historique du Creusot de 1253 à 1912, cet ouvrage (non signé) présente les "bienfaits" apportés par les Schneider à la population du Creusot. Véritable bible du paternalisme, on ne pourra réellement apprécier son contenu qu'en faisant un rapprochement avec le livre de Jean-Baptiste DUMAY : Un fief capitaliste.

Documents et textes d'après
"Les Etablissements Schneider - Economie Sociale"
1912 - Lahure Ed.

Economie Sociale

LA MAISON DE FAMILLE


Nous venons de voir que les conditions d'existence des familles ouvrières du Creusot leur permettent, en général, d'entourer la naissance et le premier âge des enfants d'une hygiène favorable, et d'éviter pour eux, au point de vue matériel, la plupart des écueils des grands centres industriels.
Mais, à côté des ménages où la coopération du travail du père et des soins maternels permet à une progéniture, même nombreuse, de se développer normalement, il y a ceux dont la mort rompt les liens au début de la vie. En dehors des morts fortuites, en dehors de quelques accidents fatals d'ordre professionnel, il est impossible d'éviter, dans une population aussi dense, malgré les plus constantes mesures de prophylaxie, qu'il ne se rencontre certains foyers où se glisse la tuberculose, d'autres où l'imprévoyance engendre un épuisement hâtif de l'organisme, même quelques familles où l'abus de l'alcool crée des vides doublement redoutables.
En 1908, Madame Eugène Schneider a organisé, pour les enfants ainsi privés, dès leur enfance, de leur père ou de leur mère, la Maison de Famille. Pour l'installer, on a transformé complètement le domaine de la Couronne, dans le quartier le plus aéré du Creusot.

Maison de Famille - Le Creusot 1912

La Maison de Famille est destinée à recueillir et à élever les enfants de veufs ou de veuves, dont le père appartient, ou a appartenu pendant sa vie au personnel des Établissements Schneider. Elle est, en quelque sorte, un auxiliaire de ces pauvres foyers brisés; elle cherche, en même temps, à maintenir l'idée du centre familial et à préparer, sur les bases les plus sûres, la reconstitution de celui-ci. On n'y garde les enfants que dans la mesure où le père et la mère ne peuvent s'occuper d'eux; sauf dans les cas d'impossibilité majeure, les enfants, dès qu'ils sont assez grands, passent la soirée et la nuit sous le toit familial. Le père ou la mère n'en sont alors séparés que pendant la durée du travail et, ainsi, ils conservent plus nettement le sens de leur responsabilité et de leurs devoirs.
D'autre part, les parents, dont les enfants sont pensionnaires, sont libres de voir ceux-ci aussi souvent qu'ils le veulent, soit le soir en sortant de l'atelier, soit le dimanche et les jours de fête, et ils les reprennent, s'ils le désirent, du samedi soir au lundi matin. Il résulte, de cette facilité d'accès, qu'en dehors de son but principal, la Maison de Famille devient une véritable école vivante d'enseignement maternel.

Maison de Famille - La salle de jeux - Le Creusot 1912

Une conduite régulière et une bonne moralité du père ou de la mère survivant sont une condition première pour l'admission des enfants; les latitudes du règlement, que nous venons de signaler, rendent cette sauvegarde particulièrement nécessaire.
Si le père ou la mère se remarient, les enfants leur sont rendus. De même, si, au bout de quelques années, la situation de la famille s'améliore, les enfants reprennent leur place au foyer ou, d'internes, deviennent externes.
En principe, les enfants sont admis, sans distinction de sexe ou de religion, à partir de deux ans. Pratiquement cette limite d'âge est souvent abaissée: la seule condition réellement imposée est que les enfants marchent seuls. Les enfants peuvent être internes ou demi-pensionnaires.
Les internes sont entièrement à la charge de la maison. Les demi-pensionnaires sont surtout choisis parmi les enfants dont la mère travaille hors de chez elle pendant la journée, ainsi que parmi les garçons de huit à onze ans: ils sont nourris par la Maison de Famille; ils ne sont pas habillés, mais cette règle est sujette à d'assez nombreuses exceptions.
A partir de cinq ans et demi, les enfants vont dans une des écoles, municipale ou privée, choisie par leurs parents.
Les enfants sont conservés jusqu'à l'âge de quatorze ou quinze ans.
Les garçons, qui ont alors pu suivre les cours du Groupe Préparatoire ou du Groupe Spécial, entrent à l'Usine comme élèves-ouvriers; les filles, ayant achevé le cycle de renseignement de l'Ecole Ménagère, sont aptes à aider fructueusement leur famille pour la tenue du ménage.
La santé des enfants est l'objet d'une attention toute spéciale et, avant leur admission, ils doivent subir un examen médical.
En raison même du principe servant de base au recrutement, et les enfants étant d'abord choisis dans les familles les plus nécessiteuses, un certain nombre d'entre eux sont nés délicats. Pour d'autres, l'alimentation de la première enfance a été mauvaise; parfois, on se trouve en présence de sujets prédisposés aux bronchites et aux pneumonies. Il faut donc une surveillance constante et éclairée. Grâce au dévouement de la Directrice et du personnel, grâce aux règles d'hygiène observées dans le régime journalier, on peut constater, pour la presque totalité des enfants, une transformation complète au bout de quelques mois.
Bien que l'œuvre n'ait guère plus de trois années d'existence, elle permet d'apprécier déjà sa pleine efficacité: aux visages pâles et amaigris, aux constitutions débiles ont succédé des teints frais et roses, une apparence générale de vie jeune et vigoureuse, un épanouissement de joie et d'espérance. Presque tout ce petit peuple est composé de « beaux enfants ».
Un contrôle médical très actif est exercé; chaque enfant est examiné, par le médecin de l’établissement, au moins une fois par semaine et, si l'on a quelque préoccupation sérieuse, le chef du service d'hygiène est appelé en consultation. Enfin, si une maladie véritable est constatée, l'enfant atteint est immédiatement transporté à l'Hôtel-Dieu.

Maison de Famille - Salle de bains des petits - Le Creusot 1912

Jusqu'ici l'état sanitaire est des plus satisfaisants : pour l'année 1911, les états mensuels indiquent que, pendant huit mois, il ne s'est déclaré, à la Maison de Famille, aucune maladie; pendant les quatre autres mois, on y a enregistré seulement 1 coqueluche, 4 rougeoles, 4 scarlatines et 1 broncho-pneumonie, toutes bénignes et n'ayant laissé aucune trace.
Un dossier est ouvert pour chaque enfant, lors de son admission, et permet de suivre, à tout moment, révolution de sa santé. Tous les trois mois, les enfants sont mesurés et pesés; les indications, relatives à la taille et au poids, sont consignées sur des graphiques, qui fournissent une expression très nette des progrès réalisés.
L'alimentation des enfants est surveillée de très près. Voici le régime alimentaire adopté :

  • Au-dessous de dix-huit mois : alimentation lactée et bouillies au lait ;
  • De dix-huit mois à deux ans : on ajoute des bouillons de légumes, des purées de lentilles, des œufs à la coque et des confitures ;
  • A deux ans : on commence à donner des cervelles et des ris de veau, la boisson est toujours de l'eau et du lait ;
  • A partir de quatre ans : quelques viandes grillées ;
  • A six ans seulement commence une alimentation normale, avec du vin coupé d'eau comme boisson.

Maison de Famille - Le réfectoire - Le Creusot 1912

On habitue de bonne heure les enfants à considérer comme indispensables les règles d'hygiène. Jusqu'à l'âge de deux ans, ils sont baignés tous les jours et, plus tard, trois fois par semaine.
On cherche, de plus, à préparer les enfants au rôle pratique qu'ils seront appelés à remplir dans leur famille, au point de vue de la propreté et de la tenue du logement, des soins du ménage et même de la préparation des aliments. En général, ces petites corvées, accomplies avec toute l'émulation du jeune âge, sont considérées plutôt comme de véritables parties de plaisir.
A côté des soins d'ordre matériel, une part aussi large que possible est réservée, dès le premier âge, à l'éducation, au développement des notions de conscience, de devoir, de discipline, d'initiative personnelle, d'assistance réciproque et l'on est parfois heureusement surpris de constater les résultats obtenus.
L'organisation intérieure de la Maison de Famille est à la fois simple et attrayante. Pour ne parler que des installations réservées aux enfants, nous trouvons, au rez-de-chaussée :

  • Le dortoir des bébés, contenant onze berceaux et petits lits, ainsi que le lit de la garde, avec une lampe veilleuse et un téléphone correspondant à la chambre de la directrice. Dans ce dortoir, comme d'ailleurs dans tous ceux de la Maison de Famille, les rideaux et les tentures sont absolument proscrits par mesure d'hygiène ;
  • La salle de jeux, avec ses bancs, sa balustrade promenoir, ses tables et ses fauteuils à l'échelle des occupants ;
  • La salle de toilette et de bains, contenant des lavabos, des baignoires en émail montées sur pied, de minuscules water-closets à chasse d'eau ;
  • Enfin la salle à manger, où, à l'heure des repas, la bonne tenue est fort bien observée.


Le premier et le deuxième étage sont le domaine des « grands » et le fait d'y accéder est, paraît-il, considéré comme une véritable étape dans la vie. Nous y rencontrons:

  • Six dortoirs, contenant chacun, au maximum, six lits, les uns pour les garçons, les autres pour les filles. Près de chaque dortoir est une chambre de garde permettant, la nuit, par un châssis vitré, une surveillance constante. Les chambres de garde comportent un lit d'enfant vide, dit lit de secours, soit pour mettre en observation un enfant indisposé, soit pour parer à une arrivée imprévue, soit surtout pour y placer un enfant, indisposé au milieu de la nuit, afin de ne pas troubler tout le dortoir ;
  • Une salle de travail, destinée aux leçons de couture et à l'achèvement des devoirs apportés de l'école ;
  • Deux salles de bains.

La Maison de Famille est entourée d'un parc de cinq hectares, planté d'arbres, dont les pelouses servent aux ébats des jeunes pensionnaires. Dans ce parc sont édifiées deux salles de récréation, l'une destinée aux garçons, l'autre réservée aux filles, pour les jours de pluie. Ces salles servent aussi de parloir pour les parents qui viennent voir leurs enfants.
La plupart des gardes qui soignent les enfants sont elles-mêmes choisies parmi les veuves d'ouvriers de l'usine; elles doivent, avant d'être admises, faire un stage à la Maison de Famille, afin de se rendre compte si elles ont les aptitudes nécessaires. Plusieurs d'entre elles sont admises avec un ou plusieurs de leurs propres enfants et peuvent ainsi continuer à les élever tout en étendant leur sollicitude maternelle aux autres orphelins.
Dès sa création, cette institution fut très vivement appréciée par les familles du Creusot. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter la progression continue du nombre des enfants. Inaugurée avec six enfants à la fin de 1908, la Maison de Famille en abrite actuellement 75, dont 40 internes et 35 demi-pensionnaires.
Si parfois quelques lits sont disponibles, on en fait bénéficier temporairement les enfants, non orphelins, dont la mère est transportée à l'Hôtel-Dieu, soit pour subir une opération, soit pour une maladie grave. Dans plusieurs cas, on a reconnu l'utilité très grande de cette pratique.

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