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Les Etablissements Schneider

Economie sociale

Les écoles ménagères

Après un historique du Creusot de 1253 à 1912, cet ouvrage (non signé) présente les "bienfaits" apportés par les Schneider à la population du Creusot. Véritable bible du paternalisme, on ne pourra réellement apprécier son contenu qu'en faisant un rapprochement avec le livre de Jean-Baptiste DUMAY : Un fief capitaliste.

Documents et textes d'après
"Les Etablissements Schneider - Economie Sociale"
1912 - Lahure Ed.

Economie Sociale

LES ECOLES MENAGERES


     Une bonne formation professionnelle des jeunes gens, en même temps qu'elle rend d'importants services à l'industrie, contribue, dans une large mesure, à l'amélioration du sort des familles qu'ils sont appelés à fonder. Mais si l'on veut que ces familles atteignent leur plein développement, et qu'elles remplissent vraiment leur rôle de « cellule sociale », il ne suffit pas que l'homme, accomplissant sa tàche avec habileté et conscience, apporte au foyer un salaire rémunérateur, il faut que la femme, elle aussi, soit à la hauteur de son devoir professionnel journalier, et ce devoir ne se résume-t-il pas, très souvent, à être, suivant une vieille expression, « une bonne ménagère ».
    L'expression, certes, est vieille et ce qu'elle implique était fort apprécié de nos pères . Montaigne n'écrivait-il pas déjà : « La plus utile et honorable science et occupation à une mère de famille, c'est la science du ménage ... c'est sa maistresse qualité et qu'on doit chercher avant toute aultre, comme le seul douaire qui sert à ruyner ou sauver nos maisons. »
    Depuis quatre siècles, les conditions de la vie économique ont changé, les méthodes du travail ont été bouleversées. A cause mème de la complexité, de l'âpreté de l'existence moderne, il est plus nécessaire que jamais de voir la femme armée pour la lutte, capable de remplir une mission rendue, sans cesse, plus difficile.
    Cette nécessité a provoqué la création, pour les jeunes filles, d'un nouvel ordre d'enseignement : l'enseignement ménager, qui intéresse toutes les branches de connaissances, théoriques et pratiques, susceptibles d'être appliquées par la femme dans la vie familiale.
    Le développement normal de cet enseignement est récent: la plus ancienne école ménagère de l'Europe est celle de Goteborg, fondée en 1865 ; quelques écoles analogues s'ouvrent, de 1865 à 1875, en Norvège, en Russie, en Allemagne et en Angleterre. Pour la Belgique, un mouvement se dessine en 1874 et dix écoles sont fondées, mais l'opposition qu'elles rencontrent les fait bientôt disparaître; une seule existe encore en 1878. Il a fallu toute la persévérance des efforts privés et officiels pour remonter le courant et parvenir aux brillants résultats actuels. En Suisse, les premières écoles datent de 1889.
    Si nous mettons à part quelques essais éphémères, les initiatives fructueuses ne se font jour en France que dans les dernières années du XIX" siècle, sous l'impulsion, d'une part, de la Ligue de l'Enseignement et, d'autre part, de certaines associations catholiques. L'Exposition de 1900, en permettant une documentation étendue sur la question, met enfin en lumière dans notre pays les précieux avantages de l' enseignement ménager.
    Cet enseignement, profitable pour toutes les classes sociales, est particulièrement intéressant dans les milieux industriels et, en 1906, MM. Schneider fondent au Creusot une première f:cole Ménagère.
    Même avant sa création, on avait cherché, dans les écoles primaires de filles, à donner aux enfants un enseignement en rapport avec leurs devoirs ultérieurs dans la vie. En dehors de l'instruction proprement dite, en dehors de l'éducation morale, on essayait de développer, chez les fillettes, des notions d'ordre, d'économie, d'adresse, de savoir-faire, les préparant de loin à devenir des jeunes filles capables de rendre un jour leur intérieur attrayant et de tirer le meilleur parti possible de leurs ressources. Toutefois, il ne s'agissait là que d'une orientation générale, ne faisant point l'objet de cours spéciaux et que l'on ne saurait rapprocher de l'organisation américaine, puis allemande, des « Kitchen-gardens » (jardins de cuisine), petites écoles, destinées à inculquer le goût des tâches ménagères dès la plus tendre enfance.
La création d'une École Ménagère au Creusot fut d'abord une surprise pour les mères, qui n'en saisissaient pas toute l'utilité. Le fait n'est point nouveau : les pays les plus acquis actuellement à l'enseignement ménager connurent la même réserve. Dans son ouvrage sur « l'éducation domestique des jeunes filles » l'auteur belge, M. Frank, signale qu'en Belgique une opposition assez vive se manifesta de la part des mères de famille, trouvant « qu'une école doit avoir un but plus élevé et une mission autre que d'enseigner aux fillettes la connaissance pratique des choses du ménage ». Même résistance en Angleterre, où « une grande difficulté fut de vaincre l'hostilité des parents et surtout des mères de famille de la classe populaire». M. Rombaut, Inspecteur général des écoles techniques en Belgique, déclarait de son côté, à la réunion annuelle de la Société d'économie sociale, le 6 juin 1896, que les mères « ne pouvaient pas croire que l'école fût capable d'enseigner aux jeunes filles mieux et plus que ce qu'elles savaient elles-mêmes ».
Au Creusot, heureusement, les hésitations furent de courte durée.
La première école devenant trop étroite pour toutes les élèves inscrites, il fallut, dès 1909, puis en 1910, créer un deuxième et un troisième groupe d'écoles ménagères. Et l'on doit maintenant envisager la prochaine installation de nouveaux groupes.
Les écoles du Creusot comprennent plusieurs degrés d'enseignement:
         1° Des Cours ménagers pour les fillettes de treize à quinze ans.
         2° Des Cours d'adultes pour les jeunes filles de seize ans et au-dessus.
         3° Des Causeries ménagères.

Ecoles ménagères - Le cours de cuisine
Ecoles ménagères - Le cours de cuisine

    Cours ménagers. - Pour être admis à ces cours, les enfants doivent avoir terminé leur instruction primaire et avoir atteint leur treizième année. Il semble bien, en effet, d'après les expériences faites notamment en Belgique et en Suisse, qu'il n'y a pas avantage à prendre les enfants plus jeunes : avant cet âge, elles saisissent moins bien le but et l'utilité de l'enseignement ménager et sont tentées de n'y voir qu'un jeu nouveau. D'autre part, si l'on veut obtenir des résultats sérieux, il faut que les enfants aient terminé leur instruction et puissent se consacrer complètement, pendant un certain temps, à leurs cours.
    Chaque cours comprend 24 élèves. Ce chiffre est considéré comme un maximum pour obtenir un bon rendement et, lorsqu'on le dépasse, on doit augmenter le nombre des maîtresses et modifier l'installation matérielle.
    La durée des cours est de deux ans. A l'exception des dimanches et des jeudis, ils ont lieu, pendant l'année scolaire, tous les jours, pendant deux séances de trois heures chacune. A la fin de leurs études, les jeunes filles passent un examen, dont la sanction est la délivrance d'un Certificat d'enseignement ménager. De plus, pour stimuler l'émulation, une exposition de travaux des élèves est organisée à la fin de l'année scolaire.
    Cours d'adultes. - Ces cours, destinés aux jeunes filles plus âgées, sont de création récente et paraissent appelés à jouir de la même faveur que les Cours ménagers. Les matières enseignées sont d'ailleurs les mêmes ; ils ont lieu une fois par semaine, le jeudi, et durent une année.
    Causeries ménagères. - Destinées aux jeunes filles et aux jeuncs femmes qui ne peuvcnt disposer que d'un temps très restreint, elles ont lieu tous les 15 jours, le dimanche, pendant une heure et demie. Elles comportent des cours théoriques et des démonstrations pratiques d'économie domestique et d'hygiène, et même des notions d'éducation maternelle.
    Les programmes comprennent un enseignement théorique et un enseignement pratique. « Les deux parties qui les composent sont distinctes l'une de l'autre, et pourtant si intimement liées qu'clles semblent n'en faire qu'une. Elles embrassent, d'une façon théorique, les principes de la tenue d'une maison : économie domestique, comptabilité, hygiène, horticulture, et d'une manière pratique : la cuisine, lc nettoyage, le raccommodage, la confection du linge et des vêtements, le lavage, etc. » Cet exposé succinct, emprunté à la plaquette « Enseignement ménager » de la Comtesse de Diesbach, promotrice de renseignement normal en France, s'applique tout entier aux écoles du Creusot.
    Les vingt-quatre élèves d'un cours ne se livrent pas simultanément aux mêmes occupations ; elles sont réparties en équipes de huit, et chaque équipe forme une sorte de petite famille, qui travaille dans des conditions lui donnant davantage l'impression de la vie, telle qu'elle se présente en réalité.

Ecoles ménagères - Le cours de coupe
Ecoles ménagères - Le cours de coupe

Les principales subdivisions de l'enseignement sont les suivantes:
      SOINS D'HYGIENE ET DE PROPRETE. - Ils figurent en première ligne et sont l'objet d'unc constante attention de la part des maîtresses, car ils sont e:lcore ignorés de la masse et n'ont point accompagné la progression d'un certain faux luxe extérieur, qui gagne les milieux même les plus populaires. « Il semble malheureusement que l'on y soit convaincu jusqu'ici que le désordre et la malpropreté sont les conséquences inéluctables de l'exiguïté des ressources .... La routine féminine continue à régner sans conteste au foyer. Dans toutes les classes, c'est la durée de la vie qu'elle abrège ; c'est la vigueur physique et morale qu'elle émousse ; c'est la joie, la paix, l'harmonie qu'elle bannit souvent de nos demeures. Dans les milieux populaires, c'est la hideuse tuberculose qu'elle propage, par la méconnaissance des lois de l'hygiène pratique ; c'est la désaffection qui mène à la ruine, le jour où le travailleur manuel, lassé de voir que son intérieur ne lui donne point ce qu'il en attendait, prend, pour ne le plus quitter, le chemin du cabaret. »
    COURS DE NETTOYAGE. - On y enseigne les soins du ménage et la manière de rendre un intérieur, si modeste soit-il, propre et agréable. Cela non plus n'est sans doute point si facile, puisque Mme de Maintenon dénonçait déjà à Saint-Cyr ces mauvaises ouvrières qui « balayent sans se soucier que la place en soit plus nette ».
    COURS DE RACCOMMODAGE. - On apprend aux enfants à raccommoder le linge et les vêtements et à utiliser les vieux vêtements, question trop souvent négligée. On leur montre également l'avantage d'acheter des objets de bonne qualité, que l'on payera plus cher, mais qui, bien entretenus par une adroite ménagère, seront, par leur durée, d'un usage infiniment plus économique que les objets de confection bon marché, renouvelés sans cesse.

Ecoles ménagères - Cours de repassage

    COURS DE COUPE ET DE CONFECTION. - Les enfants sont habituées à savoir reconnaître les qualités des étoffes et à les utiliser, pour faire des vêtements simples, pratiques et attrayants.
    COURS DE BLANCHISSAGE. - Comprenant le lessivage, le détachage et le repassage du linge. Les élèves apportent, chaque semaine, leur linge et une partie de celui de leur famille ; elles en font une lessive collective et ne doivent remporter que des objets parfaitement propres, raccommodés et repassés.
    COURS DE CUISINE. -- Chaque jour, une équipe prépare un repas de trois ou quatre plats, dont le prix, par tête, varie en général de 0 fr. 35 à 0 fr. 40 et ne doit jamais dépasser 0 fr. 50 (non compris le pain et le vin). Un certain nombre d'élèves sont invitées, à tour de rôle, à déjeuner, pour consommer les mets préparés. Suivant le joli mot du rapporteur de l'enquête sur les écoles ménagères, faite par le Radical en 1902, on apprend aux enfants comment on peut, dans les repas les plus modestes, faire entrer « le ragoût de la nouveauté et le condiment de la variété ».
    COURS DE JARDINAGE. - La plupart des familles du Creusot ayant un jardin, les notions concernant sa culture sont particulièrement utiles aux jeunes filles. Elles doivent connaître toutes les espèces de fruits et de légumes courants, ainsi que leurs propriétés nutritives, et savoir aussi ajouter quelques bordures de fleurs aux semis des planches de choux et de salades.

Ecoles ménagères - Cours de jardinage
Ecoles ménagères - Le cours de jardinage

COURS DE COMPTABILITÉ MÉNAGÈRE. - Ce cours condense toutes les notions permettant à une femme d'obtenir le meilleur rendement de ses ressources, d'établir le budget de son ménage, de tenir toujours en ordre la comptabilité domestique, d'arriver progressivement à une meilleure détermination de la part à faire à chacun des besoins. Pour matérialiser en quelque sorte cet enseignement, toutes les dépenses de l'école ménagère sont inscrites sur une série de carnets, tenus tour à tour par chaque élève. Tous les mois, des relevés de ces carnets permettent de faire apprécier aux jeunes filles les économies possibles.

    Les autres cours donnent également lieu à la tenue de cahiers, conservés par les élèves, et qui seront pour elles un aide-mémoire dans l'avenir : cahiers d'hygiène, d'économie domestique, de blanchissage, de cuisine.
    Et dans tout cet enseignement l'on cherche à montrer aux jeunes filles la répercussion morale, sur la vie d'un ménage, des choses matérielles ; l'on cherche aussi à développer en elles les qualités de droiture, de bonne humeur, d'égalité de caractère, de gentillesse, qui font d'une femme, dans l'existence de chaque jour, la joie rayonnante du foyer et le premier gage du bonheur.
    MM. Schneider ont confié la direction de l'ensemble de leurs Écoles Ménagères à l'une des plus anciennes et plus dévouées collaboratrices de la Comtesse de Diesbach. Ces écoles n'ont point connu les difficultés matérielles qui ont nui au développement de beaucoup de leurs devancières. Elles ont été installées dans des locaux clairs, spacieux et aérés, qui, tout en se rapprochant le plus possible, par la simplicité de leur aspect intérieur et de leur mobilier, de ceux où la jeune fille remplira plus tard sa bienfaisante mission, comportent toutes les commodités et tout l'outillage nécessaires.

Ecoles ménagères - Couture

    Chaque groupe comprend : une salle de travail (raccommodage, coupe et couture), munie d'une machine à coudre ; une salle de repassage; une cuisine avec office ; une buanderie avec séchoir ; un jardin.
    MM. Schneider, qui ont établi ces écoles entièrement à leurs frais, prennent aussi à leur charge tout leur entretien : l'enseignement et les fournitures y sont absolument gratuits. Malgré sa création récente au Creusot, cette institution montre déjà toute son efficacité. De la part des parents, les hésitations du début ont fait place au plus vif intérêt, et bon nombre de jeunes gens laissent entendre que, le jour où ils songeront à se marier, ils choisiront plus volontiers une femme ayant suivi les cours des Écoles Ménagères.
    Puissent les jeunes filles trouver dans cet enseignement les qualités simples et, fortes qui font le charme du plus humble foyer. Nous leur rappelons la conclusion d'une lettre de François Coppée à Mme de Diesbach, au sujet de la création de ses premières écoles :
       « Se contenter de peu, voilà la sagesse et la vérité ; mais, ce peu, vous voulez avec raison qu'on l'améliore de facile confort, qu'on l'embellisse même d'humble luxe. A merveille. La salade est meilleure, parée de fraîches capucines. »

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